Les œuvres rassemblées font état d’un monde vaste et difficile à cerner qui se cherche et se teste. Les Romances sans paroles de Verlaine sont mystérieuses et amères mais celles de Mendelssohn sont mélodiques et gracieuses et c’est sur ces deux tonalités que s’expriment les artistes de l’exposition. Ils s’emparent des objets de leur quotidien pour les interroger sur des modes plastiques allant de la sculpture à la photo, vidéo, de l’installation au dessin.
Un premier ensemble d’œuvres introduit la notion de limites. Par le truchement de déplacements, de ré-écritures, les artistes décloisonnent leur environnement. Mathieu Mercier construit une Cage à oiseaux selon un procédé vectoriel habituellement destiné à l’image de synthèse. Bertrand Lavier interroge dans Walt Disney Production le statut de la sculpture issue du quotidien en donnant valeur d’œuvre à une sculpture qui ne l’était pas initialement. Cette étude des limites laisse une place belle à l’ironie, au décalage. Elle nécessite une fine observation mais se définit par sa qualité expérimentale. Nous disons communément, «chercher ses limites», Roman Signer les teste à travers ses installations. Mircea Cantor avec son Chaplet les trace avec force et émotion sur les pourtours de l’espace pour dénoncer leur statut de frontière. Dans Here is Johnny! Jérémy Ledda considère la limite sans issue, obsessionnelle et infranchissable tandis que Laurie Franck avec Mickey et Happy End ose la dépasser et suspecter par-delà un monde désenchanté.S ’intéresser aux limites c ’est également se poser la question des équilibres, des points de ruptures. Daniel Firman en fait son objet de recherche et Gathering est la trace d’une de ses expériences. L’art de l’assemblage, très présent dans la sculpture contemporaine, permet aussi de poser plastiquement les conditions d’équilibre. Dans un jeu de dualité Kayak grillé Jean-Michel Sanejouand réunit un kayak et un rouleau de grillage, tandis que Reiner Ruthenbeck dans Tuch mit Spannrahmen imbrique tissu et métal et confronte le carré au rond. Ce jeu d’assemblages des matériaux et des formes convoque leurs caractéristiques afin de les fragiliser et d’en extraire leurs relativités.
Parallèlement, d’autres artistes s’intéressent à définir ou redéfinir des territoires ou encore à questionner leur identité. David Renaud avec Mêgo Aroug, Abyssinie représente un territoire inconnu de son public mais qui le temps d’une œuvre attire tous les regards. Par un processus qui à la fois complexifie et simplifie la lecture topographique d’un site, il déplace nos intérêts vers une région du monde que lui seul érige à travers son œuvre. Federico Guzman, par un principe de déplacements, de voyages et de rencontres, redessine une cartographie mondiale faite de focus et d’humanité. Claire Willemann avec le Puits introduit une dimension temporelle dans cette même étude du territoire. Son travail fait de perturbations spatiales invite à l’observation. Joe Scanlan, et sa Flexible Hifi, déplace la problématique du territoire dans le champ de l’industrie et à travers son intérêt pour le design, définit un espace qui ne serait plus soumis aux normes imposées, de son avis, non démocratiques. Pascal Auer enfin invente un autre territoire, virtuel et fictif, celui de son label Parasite Rec. Il développe un projet ancré dans aucune réalité géographique et qui existe selon un organigramme et une logique propre.
La définition de nouveaux espaces ne s’entend pas sans qu’il soit question d’une quête d’identité. Jimmie Durham, indien américain, se dit aujourd’hui nomade et citoyen du monde mais dans des œuvres comme Teeths il affirme ses racines et ce en quoi elles le constituent. Matthew Day Jackson dans Pitfalls of Utopian Desire se penche lui aussi avec attention sur l’histoire de son Amérique et de son possible devenir. Marie Verry s’ouvre davantage à des territoires intimes, elle laisse libre champ à ses rêves et ses visions et se construit à partir de ce monde intérieur autant qu’avec des images «réelles».
Romances sans Paroles laisse sans doute une impression mélancolique. Il pleut doucement sur la ville aurait dit Arthur Rimbaud mais nos artistes malgré leurs humeurs sombres promènent un regard poétique et ironique qui fait plutôt sourire et laisse entrevoir des mondes imaginaires, pourquoi pas visionnaires, tout à fait plaisants et attirants.
Une proposition d’Ami Barak et Sandrine Wymann.
Avec la participation de Pascal Auer, Mircea Cantor, Matthew Day Jackson, Jimmie Durham, Daniel Firman, Laurie Frank, Federico Guzman, Bertrand Lavier, Jérémy Ledda, Mathieu Mercier, David Renaud, Reiner Ruthenbeck, Jean-Michel Sanejouand, Joe Scanlan, Roman Signer, Marie Verry, Claire Willemann.