Lingjie Wang et Jingfang Hao, vue de l'exposition "7 days", Galerie M50 - Shanghai, 2014

 » Les recherches de Lingjie Wang et Jingfang Hao sont le fruit d’une « exaltante alliance des contraires »1.
Leurs œuvres puisent aux racines de la culture chinoise et sont nourries de références à l’histoire de l’art occidentale ; elles sont conceptuelles et sensuelles, objet et processus ; elles ont la beauté énigmatique de la nature et la complexité scientifique de la culture… Cette bipolarité, que l’on retrouve dans le taoïsme mystique originel sous la forme du Yin et du Yang, est davantage une façon d’être au monde qu’un système. Chacune de leurs œuvres repose sur un principe dialogique entre une conception cartésienne et mathématique – héritée de leur formation d’ingénieurs et d’un intérêt pour l’art conceptuel occidental – et une vision sensuelle et poétique du monde – liée à leur culture chinoise et à leur connaissance de la matière qui compose les objets qui nous entourent.
L’un et l’autre ressentent une forte attirance pour la démarche à la fois intuitive et logique de l’art conceptuel. La sérialité et l’apparente objectivité scientifique des Sun drawings, dessins réalisés à partir de la concentration des rayons du soleil sur une feuille de papier thermique, n’est pas sans convoquer les Wall drawings de Sol LeWitt. Comme ces derniers, les Sun drawings mettent en tension une idée simple (réaliser des dessins avec l’énergie solaire), un contexte (géographique, atmosphérique) et un agent de réalisation extérieur (la chaleur). Le projet leur échappe, d’une certaine manière, il prend l’apparence d’une expérience dont l’objectif n’est pas d’augmenter la connaissance scientifique que l’homme a du monde, mais plutôt de stimuler sa connaissance intuitive et poétique. Comme pour les Wall drawings de Sol LeWitt, c’est finalement la tension créatrice entre le concept et les aléas du médium dans lequel il s’incarne qui donne naissance à l’œuvre.
De ce fait, le travail de Wang et Hao modifie ce que l’on pourrait appeler le lieu de l’art. Car l’œuvre d’art est moins dans le résultat final de l’expérience, qui donne naissance à une série d’objets réels, que dans le processus qui a conduit à leur apparition. Dans Falling (Leaves), le titre de l’œuvre nous invite déjà à cette réflexion. L’expression « falling leaves » (chute des feuilles) désigne une action qui s’installe dans la durée. Le participe présent « Falling » nous indique une progression, un changement d’état et connote l’instabilité. L’œuvre elle-même (un convoyeur qui transporte des feuilles d’érables du sol au plafond pour les faire tournoyer) est en mouvement, son aspect dépend des hasard des courants d’airs, de la poussière, de la lumière… Si œuvre il y a, c’est dans l’impermanence des choses qu’elle se situe. Falling (leaves) ne prend son sens qu’à travers non pas trois, mais quatre dimensions dont la plus importante est le temps. « Absente de tout bouquet », elle réalise la transposition mallarméenne « d’un fait de nature en sa presque disparition vibratoire »2.
C’est bien là un troisième trait essentiel du travail de Wang et Hao. Dans le taoïsme mystique et dans la peinture chinoise, l’alternance entre le plein et le vide est porteuse de sens et de beauté. Sans ce néant plein de potentialités, ce qui existe n’a ni saveur, ni couleur, ni forme. Dans Rainbow, c’est une fois de plus la lumière du soleil qui active un support enduit d’une matière qui fascine les deux artistes : la poudre de verre. Touchée par les rayons solaires, la surface irisée produit un arc-en-ciel et ravive nos étonnements enfantins. Cette apparition énigmatique est laissée à l’appréciation du spectateur, libre de porter un discours scientifique explicatif sur l’œuvre ou d’en conserver le mystère et la beauté. La préférence des deux artistes ira certainement au spectateur qui, comme les sages taoïstes, préférera la force d’une métaphore à deux-cents lignes argumentées.  » Hélène DOUB

1  René CHAR, « Partage formel » in Seuls demeurent, 1938-1944.
2  Stéphane MALLARMÉ, Crise de Vers, 1886-1895.